Bellevue, 7 ŃŠµŠ²ŃŠ°Š»Ń 1927
Marina TsvetaĆÆeva
«Si l'ame est nee avec des ailes...»
Ce sera ainsi
Enfant tranquille, dorloteŅ par les teŅne`bres,
Une langueur infinie dans un regard perdu,
Tu es la` immobile devant la fene ļ¤ tre. Un pas
Rapide, dans le corridor ā ce nāest pas le mien!
La porte sāouvre... Un courant dāair glacial...
Une odeur: la fraļcheur, le bonheur... Finies les angoisses...
Puis un instant de silence et quelquāun, doucement,
Rit, sur le seuil de la porte ā ce nāest pas moi!
Le tramway, son ombre, comme jadis, court sur le mur,
Lāorchestre, en bas, se fait plus calme, plus sourd...
Emu, tu chuchotes: ā Que nos a ļ¤mes sāunissent
En silence! ā ce nāest pas avec moi!
Que de livres! Et jāai pense Ņ ... Pas de lumie ` re:
Cāest mieux!.. Les mots me manquent...
Le tramway, son ombre voit bien que,
Sur le divan, avec toi ā ce nāest pas moi!
Mes poe`mes, eŅcrits si to ļ¤ t, ā je ne savais
Me ļ¤ me pas ā moi ā que jāeŅtais poe`te, ā
Venus, comme lāeau de la fontaine,
Dāun coup, comme les eŅclats dāune fuseŅe.
Petits diables jaillis dāun seul coup,
Dans le sanctuaire ou` tout est re ļ¤ ve, encens,
Mes poe`mes, la jeunesse et la mort,
ā Ces poe`mes quāon nāa pas lus! ā
DisperseŅs dans la poussie`re des librairies
(Ou` personne ne les prenait, ou` personne
Ne les prend!) ā mes poe`mes seront
Comme des vins preŅcieux: leur tour viendra.
Je ne reŅfleŅchis pas. Je ne me plains pas.
Je ne discute pas.
Je ne dors pas.
Je nāai de gou ļ¤ t ni
Pour le soleil, ni
Pour la lune, ni pour la mer,
Ni pour le bateau.
Je ne sens pas la chaleur entre ces murs,
Ni la fraļcheur du jardin.
Je nāattends pas le cadeau attendu,
Depuis longtemps deŅsireŅ.
Le matin ne me plaļt pas; ni
La marche rythmeŅe du tramway.
Je ne vois pas le jour. Jāoublie
La date. Jāoublie le sie`cle.
La corde sāeffiloche, semble-t-il,
Et moi, je ne suis quāun petit funambule,
Et moi, ombre de lāombre dāun autre.
Somnambule aux deux lunes sombres.
Grand-mere
Lāovale seŅve`re et allongeŅ,
La robe noire eŅvaseŅe... Jeune
Grand-me`re! De qui, les baisers
Sur vos le`vres arrogantes?
Les mains jouaient des valses
De Chopin, dans les salles du palais...
Les boucles en spirales
Entouraient le visage de glace.
Le regard sombre, tendu, exigeant,
Un regard sur la deŅfensive.
De jeunes femmes nāont pas ce regard-la`.
Jeune grand-me`re, qui e ļ¤ tes-vous?
Jeune polonaise de vingt ans! ā
Combien de choses reŅaliseŅes
Avez-vous emporteŅes et combien dāimpossibles
Dans le gouffre inassouvi de la terre?
Le vent eŅtait frais, le jour innocent,
Les eŅtoiles noires venaient de sāeŅteindre.
ā Grand-me`re! ā Cette violente reŅvolte
Dans mon cļur ā est-ce de vous que je la tiens?
Je veux le demander au miroir:
Ou` donc tout nāest-il que brouillard,
Sommeil brumeux ā
Ou` votre chemin,
Ou` votre refuge?
Je vois: les maļ¤ts dāun bateau,
Et vous sur le pont... Vous ā
Dans la fumeŅe des trains... Des champs
Pris dans la plainte du soir.
Les champs le soir sous la roseŅe,
Et au-dessus ā des corbeaux...
ā Je vous beŅnis et vous laisse
Libre comme lāair.
ā Il me plaļt que vous ne soyez pas fou de moi,
Il me plaļt de ne pas e ļ¤ tre folle de vous,
Et que jamais le lourd globe terrestre
Ne fuie au-dessous de nos pieds.
Il me plaļt de pouvoir e ļ¤ tre ridicule ā
TroubleŅe ā et de ne pas jouer sur les mots,
Et de ne pas souffrir dāune faiblesse eŅtouffante
Lorsque nos deux manches se froļ¤lent.
Il me plaļt aussi que devant moi
Tranquillement vous enlaciez une autre,
Et que vous ne me souhaitiez pas les feux
De lāenfer parce que moi jāen embrasse un autre.
Que vous ne prononciez pas mon nom, si tendre,
Vous, mon tendre ami, matin et soir ā a` la leŅge`re...
Que jamais, dans le silence de l eŅglise,
On ne chante, par-dessus nos te ļ¤ tes: AlleŅluia!
Je vous remercie de tout mon cļur, et de mes mains
De tant māaimer ā sans le savoir vous-me ļ¤ me! ā
Et pour la tranquilliteŅ de mes nuits,
Pour la rareteŅ des rencontres aux heures du soir,
Pour les promenades au clair de lune
Que nous nāavons pas faites, et pour le soleil,
Qui ne brille pas au-dessus de nous ā et
Je vous remercie de ne pas e ļ¤ tre ā heŅlas! ā fou de moi,
Et de ne pas e ļ¤ tre ā heŅlas! ā folle de vous!
Le navire ne naviguera pas toujours
Et le chant du rossignol...
Jāai si souvent voulu vivre
Et si souvent ā mourir!
FatigueŅe de la loterie, comme
Dans mon enfance, ā je quitterai le jeu,
Heureuse de ne pas croire
Quāil y a dāautres mondes.
Avec une grande tendresse ā car,
Biento ļ¤ t, je vais tout laisser ā
Je pense a` celui qui portera
Cette veste de loup,
A celui ā qui se preŅlassera sous ce plaid,
Avec cette fine canne a` te ļ¤ te de leŅvrier,
A celui ā qui portera mon bracelet
Dāargent orneŅ de turquoises...
A tous ces papiers, a` toutes ces fleurs
Que je ne peux pas ā conserver...
Ma dernie`re rime ā et toi,
Ma dernie`re nuit.
Je nāai pas communieŅ, je nāai pas suivi la Loi.
Jusquāa` la fin, et la messe dernie`re, je peŅcherai ā
Comme aujourdāhui je pe`che, comme hier jāai peŅcheŅ,
Avec passion! De tous les sens que Dieu māa donneŅs!
Amis! Complices! Vous qui māexhortez a` la flamme!
Vous, accuseŅs comme moi! Vous deŅlicats professeurs!
Filles et jeunes gens, arbres, eŅtoiles, nueŅes, Terre ā
Au jugement dernier, tous devant Dieu nous passerons.
Il nāy a pas, dans ce maudit
Volume, de tentation
Pour une femme. ā Ars amandi,
Pour une femme ā toute la terre.
Le cļur ā des philtres dāamour,
Le philtre ā le plus su ļ¤ r. ā Une femme,
De`s son berceau est un peŅcheŅ mortel,
Pour lāun ou pour lāautre.
Le ciel est loin! Les le`vres
Sont proches, dans la brume...
ā Dieu, ne juge pas! Tu nāeŅtais pas
Une femme, sur terre!
Je connais la veŅriteŅ! Assez des veŅriteŅs anciennes!
Lāhomme sur terre ne doit pas contrer lāhomme!
Voyez: le soir, voyez: deŅja` presque la nuit!
Et quoi encore: des poe`tes, des amants, des capitaines?
DeŅja` ā le vent sāeŅpuise, deŅja` ā la roseŅe sur la terre,
Biento ļ¤ t ā deŅja` ā la neige durcira dans le ciel eŅtoileŅ,
Et ā biento ļ¤ t ā tous, sous terre nous dormirons: car,
Sur terre, tous, nous nous empe ļ¤ chions de dormir.
Une fleur eŅpingleŅe a` la poitrine.
Je ne sais deŅja` plus qui lāa eŅpingleŅe.
Inassouvie, ma soif de passion,
De tristesse et de mort.
Par le violoncelle et par les portes
Qui grincent, par les verres qui tintent
Et le cliquetis des
Des trains du soir,
Par le coup de fusil de chasse
Et par le grelot des troŃkas ā
Vous māappelez, vous māappelez,
Vous ā que je nāaime pas!
Mais il est encore une joie:
Jāattends celui qui, le premier,
Me comprendra, comme il le faut ā
Et tirera a` bout portant.
Jāai ouvert le coffret de meŅtal,
Jāai pris ce cadeau ā des larmes:
Un anneau avec une perle superbe,
Avec une superbe perle.
Je suis sortie sur le seuil, un vrai chat,
Jāai exposeŅ mon visage au vent.
Les vents ā qui soufflent, les oiseaux ā qui volent,
Les cygnes ā a` gauche, a` droite ā les corbeaux,
Nos chemins ā par des co ļ¤ teŅs diffeŅrents.
Tu tāeŅloigneras ā avec les premiers nuages, avec lāorage,
Et ton chemin ā dans lāeŅpaisse fore ļ¤ t, sur les sables bru ļ¤ lants.
Ton a ļ¤ me ā sāeŅpuisera,
Tes yeux ā pleureront.
Mais au-dessus de moi ā la chouette criera.
Mais au-dessus de moi ā lāherbe bruissera.
Nous nāavons jamais eŅteŅ ensemble: cāest doux
Pour moi. ā Personne ainsi nāa rien repris.
Je vous embrasse, par-dela` les centaines
Des verstes qui nous seŅparent.
Je sais: nos dons sont dissemblables.
Ma voix, pour la premie`re foix, est basse.
Que vous importe, jeune Derjavine,
Mon vers mal eŅleveŅ! ā
Pour le terrible vol, je te salue:
ā Vole, jeune aigle, vole! ā
Tu supportes le soleil dans les yeux, ā
Mon jeune regard est-il si lourd?
Personne ne vous regardait partir
Plus tendrement, plus deŅfinitivement...
Je vous embrasse, par-dela` les centaines
Des verstes qui nous seŅparent.
Tu le`ves la te ļ¤ te trop haut ā
Un orgueilleux, un menteur.
Cāest, pour moi, en ce feŅvrier,
Un joyeux compagnon!
Nous faisons sonner lāargent, nous
Faisons lentement des ronds de fumeŅe,
Nous marchons dans notre ville natale
Comme de solennels eŅtrangers.
Quelles mains soigneuses ont toucheŅ
Tes cils, cette beauteŅ, ā quand, et
Comment, et qui, celles, nombreuses,
Qui ont embrasseŅ ta bouche ā ,
Je ne le demande pas. Mon esprit avide
Maļtrise ce re ļ¤ ve. En toi,
Jāhonore un enfant
Divin de dix ans.
Arre ļ¤ tons-nous pre`s de la rivie`re qui rince
Le collier multicolore des lanternes.
Jāirai avec toi jusquāa` la place
Qui a vu des tzars adolescents...
Siffle pour eŅvacuer le mal des jeunes
Garc ļ² ons, et serre ton cļur dans ta paume...
ā Mon affranchi impassible
Et violent ā Pardon.
Dāou` vient cette tendresse?
Ce ne sont pas les premie`res
Boucles ā que je lisse ā et
Jāai connu des le`vres plus sombres.
Les eŅtoiles sāallument et sāeŅteignent,
ā Dāou` vient cette tendresse? ā
Des yeux sāallument et sāeŅteignent,
Tout pre`s de mes yeux.
Jāai entendu des chants
Autres, dans la nuit noire,
ā Dāou` vient cette tendresse? ā
Sur la poitrine me ļ¤ me du chanteur.
Dāou` vient cette tendresse? ā
Et quāen faire, adolescent
Malicieux, chanteur vagabond,
Aux cils ā les plus longs.
Poemes pour Blok
Ton nom ā un oiseau dans la main,
Un glac ļ² on sur la langue ā ton nom,
Un seul mouvement des le`vres,
Ton nom ā quatre lettres.
Un petit ballon, saisi au vol,
Un grelot dāargent dans la bouche.
Il jaillit dans un sanglot, ton nom,
Et dāune pierre jeteŅe dans un eŅtang.
Il brille, il gronde, la nuit, ton nom
Dans un leŅger cliquetis de sabots.
Et le claquement sonore du fusil
Le soulignera sur notre tempe.
Ton nom ā Ah, lāimpossible! ā
Un baiser sur les Ńeux, ton nom,
Sur le gel tendre des paupie`res immobiles.
Ton nom ā un baiser sur la neige,
Une glaciale gorgeŅe bleue ā a` la source...
Avec ton nom, le sommeil est profond.
Tendre fanto ļ¤ me,
Chevalier sans reproches,
Qui tāa appeleŅ
Dans ma jeune vie?
Dans la brume bleue,
Debout, en chasuble
De neige.
Ce nāest pas le vent, qui
Me poursuit a` travers la ville,
Cela fait trois soirs, deŅja`,
Que je sens lāennemi.
Il māa envou ļ¤ teŅe,
Le chantre de neige
Aux yeux bleus.
Et le cygne de neige eŅtend
Ses ailes sous mes pieds.
Les plumes sāeŅtalent et
Sāalte`rent sur la neige.
Jāavance sur les plumes,
Ainsi, vers la porte,
Et, au-dela`, la mort.
Par les fene ļ¤ tres bleues,
Il chante pour moi,
Il chante pour moi,
De ses lointains grelots.
Et son appel:
Un long cri, puis
La voix du cygne.
Tendre fanto ļ¤ me!
Je sais, je vois tout en re ļ¤ ves.
Fais-moi cette gra ļ¤ ce: amen,
Amen, tombe en poussie`re!
Amen.
Tu passes a` lāouest du soleil,
Tu vois la lumie`re du soir,
Tu passes a` lāouest du soleil,
Et la neige en rafale couvre tes pas.
Devant mes fene ļ¤ tres, indiffeŅrent ā
Tu passeras, dans le silence et la neige,
Mon homme de Dieu, juste et magnifique,
Douce lumie`re de mon a ļ¤ me.
Je ne convoite pas ton a ļ¤ me!
Ton chemin reste a` lāeŅcart.
Et je nāenfoncerai pas mon clou
Dans ta main, pa ļ¤ le de baisers.
Je ne tāappelerai pas par ton nom,
Je ne te tendrai pas les bras,
Je māinclinerai, de loin,
Devant la Sainte face de cire
Et sous la neige lente, dans la neige,
Je me mettrai a` genoux, et,
En ton nom sacreŅ,
Jāembrasserai la neige du soir.
La`, ou`, majestueusement,
Tu es passeŅ, dans un silence de mort,
Douce lumie`re, ā gloire des saints ā
Dans la possession de mon a ļ¤ me.
Pour lāanimal ā sa tanie`re,
Pour le voyageur ā son chemin,
Pour le mort ā son corbillard,
Pour chacun ā son du ļ¤ .
Aux femmes ā la ruse,
Au tzar ā lāeŅtat,
A moi ā la glorification
De ton nom.
Chez moi a` Moscou ā brillent les coupoles,
Chez moi a` Moscou ā les cloches sonnent,
Et les seŅpultures, chez moi, sont aligneŅes, ā
Y dorment les tzarines et les tzars.
Tu ne sais pas, toi, quāa` lāaube, au Kremlin,
On respire plus a` lāaise ā que partout ailleurs!
Tu ne sais pas, toi, quāa` lāaube, au Kremlin,
Et jusquāa` lāaube, je te prie comme un dieu.
Et tu passes au-dessus de la Neva,
Au moment ou`, au-dessus de la Moscova,
Je me tiens te ļ¤ te baisseŅe,
Et les reŅverbe`res tombent de sommeil.
De toute mon insomnie je tāaime,
De toute mon insomnie je tāeŅcoute ā
Lorsque partout dans le Kremlin
SāeŅveillent les carillonneurs.
Mais mon fleuve ā avec ton fleuve,
Mais ma main ā avec ta main
Ne se rencontrent pas, o ma Joie,
Tant que lāaube nāa pas rejoint lāaube nouvelle.
On pensait ā un homme!
On lāa fait mourir.
Il est mort. A jamais.
ā Pleurez sur lāange mort!
A la fin du jour,
Il chantait la beauteŅ du soir.
Trois flammes de cire
Tressaillent, superstitieusement.
Des rayons eŅmanaient de lui ā
Cordes bru ļ¤ lantes sur la neige.
Et trois cierges de cire ā et
Le tout au soleil! Au porteur de lumie`re!
O, regardez ā comment les sombres
Paupie`res se sont enfonceŅes!
O, regardez ā comment
Ses ailes se sont briseŅes!
Le reŅcitant noir reŅcite,
Les gens oisifs fla ļ¤ nent...
ā Le chantre mort repose
Et ceŅle`bre la reŅsurrection.
Probablement ā derrie`re ce petit bois
Le village, ou` je vivais.
Probablement ā lāamour est plus simple,
Il est plus facile, que je ne croyais.
OheŅ! ā Les diables, crevez donc!
Il sāest souleveŅ, il a leveŅ ā le fouet ā
Et, apre`s lāinjure ā le coup, cinglant,
Et, de nouveau, les grelots chantent.
Au-dessus des bleŅs faiblissants, miseŅrables,
La perche se dresse ā et apre`s elle une autre perche,
Et le fil de fer haut dans le ciel chante,
Et il chante la mort.
Et une nueŅe de mouches autour de haridelles indiffeŅrentes,
Et le cher andrinople de Kalouga gonfleŅ par le vent,
Et le cri des cailles, et le grand ciel, et
Le flot des choches par-dessus le flot des bleŅs,
Et les parlotes: les Allemands, ā cāest assez mais jusquāou`! ā
Et la croix tre`s jaune derrie`re le petit bois bleu,
Et la douce chaleur, et un tel eŅclat en tout,
Et ton nom, qui sonne comme: Ange.
Faible rayon dans les teŅne`bres noires de lāenfer ā
Ta voix dans le grondement et lāexplosion des obus.
Et la`, dans le tonnerre, comme un quelconque
SeŅraphin, elle annonce, cette voix sourde,
ā On ne sait de quels anciens matins brumeux ā
Combien il nous a aimeŅs, nous, aveugles et anonymes,
Et le manteau bleu, et le peŅcheŅ ā de perfidie... Et
Combien ā plus tendrement ā plus fortement encore ā
Combien il nāa cesseŅ de tāaimer, Russie, disparue
A jamais dans la nuit ā pour de tristes histoires!
Et ses doigts glissent ā le long de ses tempes ā
Ils semblent interroger ā dāun geste perdu ā:
Les jours nous attendent, et la tromperie de Dieu,
Et quel nom a` venir pour un soleil qui ne se le`vera plus...
Ainsi, prisonnier en teļ¤te-a`-teļ¤te avec lui-meļ¤me,
(Ou bien cet enfant qui parle en reļ¤vant)
Nous est apparu sur toute la vaste plaine ā
Le cļur sacreŅ dāAlexandre Blok.
Il regarde, la`, fatigueŅ des lointains,
Chef sans partisans,
La` ā et lāeau du torrent dans le creux de sa main ā
Prince sans terres.
La` ā ou`, pourtant, tout: possessions et soldats,
Et pain, et me`re.
Ton hеŅritage est beau, ā dispose de lui,
Ami sans amis!
Vous, ses amis, ā ne le deŅrangez pas!
Vous, serviteurs, ā ne le deŅrangez pas!
On le voyait sur son visage:
Mon royaume nāest pas de ce monde.
Fatales, les neiges en rafales au long de ses veines
Et les eŅpaules se courbaient sous le poids des ailes,
Et par la bouche et par le chant, dans lāardeur qui
desse`che,
Il a laisseŅ son a ļ¤ me sāenvoler comme un cygne.
Tombez, tombez donc, lourds ornements!
Les ailes connaissaient leur pouvoir: voler!
Et les le`vres, qui reŅpeŅtaient ce mot: reŅponds!
Mourir nāexiste pas, je le sais!
Il boit lāaurore, il boit la mer, ā a` sa soif,
Il festoie. ā Et pas dāoffices pour les morts!
Car celui qui pour toujours a dit: il faut e ļ¤ tre!
Aura du pain assez pour le nourrir.
Au-dessus de la plaine ā
Le chant du cygne.
Me`re, nāas-tu pas reconnu ton fils?
Lui ā de tre`s loin ā au-dela` des nuages,
Lui, ā et son dernier pardon.
Au-dessus de la plaine,
La neige fatale, en tourbillons.
Jeune fille, nāas-tu pas reconnu ton ami?
Chasuble deŅchireŅe, ailes en sang...
Lui, et son dernier mot: ā Vis!
Au-dessus de cette maudite...
Lāenvol aureŅoleŅ. Le juste
Sāempare dāune a ļ¤ me: hosanna!
Le forc ļ² at trouve ā une couchette ā la chaleur.
Et le fils adoptif la maison dāune me`re. ā Amen.
Pas une co ļ¤ te casseŅe ā
Une aile briseŅe.
Pas la poitrine traverseŅe
Des fusilleŅs. Cette balle
Ne peut sāextraire. Les ailes sont
IrreŅparables. Il vivait mutileŅ.
Tenace, elle est tenace la couronne dāeŅpines!
Quāimporte au deŅfunt ā lāeŅmotion de la masse,
Et le duvet de cygne des flatteries feŅminines...
Lui, il passait, solitaire, sourd,
Il figeait les couchers de soleil,
Absent, comme une statue sans regard.
Une seule chose vivait encore en lui:
Une aile briseŅe.
Sans cri, sans appel: un couvreur
Qui tombe dāun toit. ā Mais,
Peut-e ļ¤ tre es-tu revenu, ā
Peut-e ļ¤ tre, coucheŅ dans un berceau?
Tu bru ļ¤ les et ne te consumes pas,
Flambeau, pour peu de temps...
Laquelle parmi les mortelles
Te berce, en ton berceau?
Fardeau bien-heureux!
Roseau propheŅtique!
Qui donc me dira
Dans quel berceau?
Ā«Pas vendu, pour lāinstant!Ā»
Je ferai seulement, avec, en moi,
Cette jalousie, un vaste monde
Sur la terre de Russie.
Je traverserai dāun bout
A lāautre les terres de minuit.
Ou` est sa bouche ā sa blessure ā ,
Ou` sont le plomb, le bleu de ses yeux?
Le saisir! Toujours plus fort!
Lāaimer, nāaimer que lui!
Qui me dira tout bas
En quel berceau tu es?
Des perles, une a` une, et lāombre,
Mousseline endormie. Ombre
Dāune couronne aiguiseŅe,
DāeŅpines, pas de laurier.
Pas un rideau, un oiseau
Qui deŅplie ses ailes blanches!
ā Et naļtre a` nouveau
Pour quāa` nouveau la neige te couvre?
Lāattirer plus fort! Le tenir
Plus haut! Ne garder que lui!
Qui me soufflera
En quel berceau tu es?
Mon exploit est peut-e ļ¤ tre faux,
Et mes efforts ā vains.
Tu vas peut-e ļ¤ tre dormir,
Comme en terre, jusquāau dernier chant.
Je vois a` nouveau ā le creux
Profond de tes tempes.
Aucune musique ne pourra
Effacer une telle fatigue.
La souveraine paļ¤ture,
Le silence suļ¤r, rouilleŅ.
Le gardien me montrera
Le berceau.
Comme endormi, comme ivre,
Au deŅpourvu, sans preŅparation,
Creux des tempes:
Conscience aux aguets.
Orbites transparentes:
Mort et clarteŅ.
Vitre transparente
Du re ļ¤ veur, du voyant.
Nāest-ce pas toi
Qui nāas pas supporteŅ
Le son de sa robe bruyante
De retour au pays de chez Hade`s
Nāest-ce pas cette te ļ¤ te
Qui flottait, pleine de cliquetis
Argentins, le long
De lāHe`bre endormi?
Rec ļ² ois, mon Dieu, rec ļ² ois mon obole
Pour la soliditeŅ du temple. Je ne chante
Pas lāarbitraire de mon amour, je chante
La blessure de ma patrie...
Non le coffre rouilleŅ de lāavare ā
Ni le granit ā useŅ par les genoux!
Mais, pour tous: le heŅros et le tzar,
Pour tous ā un juste ā un chantre ā la mort.
Le Dniepr brise la glace et la Russie
Coule vers toi, comme Pa ļ¤ ques. ā
Et bouscule les planches du cercueil
Dans une grande crue de mille voix.
Pleure ainsi mon cļur, et chante la gloire!
Et que lāamour mortel soit jaloux
De tes cris ā pour quelle autre millie`me fois? ā
Car cet amour-la` se reŅjouit de ton chant.
Jāaime embrasser
Les mains, et jāaime
Donner des noms,
Et aussi ā ouvrir
Des portes!
ā Grandes-ouvertes ā sur la nuit noire!
Et me tenir la te ļ¤ te,
Ecouter ce pas, lourd,
Quelque part, qui devient leŅger,
Et le vent, qui secoue
La somnolante, lāinsomniaque
Fore ļ¤ t.
Et la nuit!
Quelque part, des sources coulent,
Le sommeil me gagne.
Je dors presque.
Quelque part, un homme,
Dans la nuit, sāenfonce.
Dans ma tre`s grande ville ā la nuit.
Je quitte ā la maison endormie.
Les gens pensent: une femme, une fille, ā
Mon seul souvenir: ā la nuit ā .
Le vent de juillet me pousse ā en chemin,
Et la` une musique par la fene ļ¤ tre ā un rien.
Le vent, aujourdāhui, jusquāa` lāaube ā soufflera
Au travers de la poitrine ā dans la poitrine.
Un peuple noir, et, par la fene ļ¤ tre ā une lumie`re,
Et le carillon de la tour, et dans la main ā une fleur,
Et ce pas-la` nāemboļte le pas de personne,
Et cette ombre-la` ā nāest pas la mienne.
Les feux de la feuille nocturne dans la bouche,
Comme les chaļnes des colliers en or ā le gou ļ¤ t!
DeŅlivrez-moi des liens diurnes, amis,
Comprenez, je ne suis pour vous quāun re ļ¤ ve.
Noire comme la pupille, comme la pupille tu suces
La lumie`re ā et je tāaime, nuit ā qui vois si bien.
Laisse ma voix te chanter, aŃeule des chants,
Qui tiens la bride des quatre vents. Je tāappelle,
Je chante tes louanges et ne suis quāun coquillage
Que la voix de lāoceŅan nāa pas encore deŅserteŅ.
Jāai deŅja` trop regardeŅ dans la pupille des hommes!
Nuit! ReŅduis-moi en cendres, soleil noir, ā nuit!
Qui dort, la nuit? Personne ne dort!
Lāenfant, dans son berceau, crie,
Le vieillard veille a` sa propre mort,
Et le jeune garc ļ² on parle a` sa jolie;
Il souffle sur ses le`vres,
Il la regarde dans les yeux.
Si tu tāendormais, ou` serais-tu, a` ton reŅveil?
Nous aurons, nous aurons bien le temps de dormir!
Le garde au regard vigilant passe
De maison en maison, avec sa lanterne rose.
Et, sur lāoreiller, ce qui, par morceaux, gronde,
Agite sa bruyante creŅcelle: ā ne dors pas ā
Tiens bon! Jāinsiste! Sinon ā lāeŅternel
Sommeil! ā Sinon ā la maison eŅternelle.
Voici ā de nouveau ā une fene ļ¤ tre,
Ou` ā de nouveau ā on ne dort pas.
On y boit du vin ā peut-e ļ¤ tre ā,
On nāy fait rien ā peut-e ļ¤ tre ā.
Ou alors, tout simplement,
Deux mains ne peuvent se seŅparer.
Il y a, dans chaque maison,
Ami, une fene ļ¤ tre pareille.
Le cri des seŅparations, des rencontres ā
Toi, fene ļ¤ tre dans la nuit!
Des centaines de bougies ā peut-e ļ¤ tre ā,
Trois bougies ā peut-e ļ¤ tre... ā
Pas cela, et pas de repos
Pour mon esprit.
Et cela ā cette chose me ļ¤ me ā
Dans ma maison.
Prie, mon ami, pour la maison sans sommeil,
Pour la fene ļ¤ tre eŅclaireŅe!
Poemes pour Akhmatova